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Les bas-fonds du rêve

11 Novembre 2017, 13:45pm

Publié par Claire Mazaleyrat

Miguel A. Semán, Le Musée des Rêves, traduit de l’espagnol (Argentine) par Nelly Guicherd, la Dernière Goutte, 2017

 

Parmi les livres essentiels, le Musée des Rêves, paru en octobre 2017 dans sa traduction française, occupe d’emblée une place exemplaire, tant par sa capacité à entretisser des thèmes comme la mémoire individuelle et collective contre la violence d’état, l’amour et la solitude, la révolte de l’imaginaire contre l’opacité du quotidien qui tend à en effacer les traces, que par la somptueuse beauté de sa langue, que Nelly Guicherd restitue avec une clarté et une précision admirables. Ismaïl Kadaré, dans Le Palais des Rêves, racontait la mission dévolue au fonctionnaire d’un état totalitaire : recueillir et analyser tous les rêves des habitants du royaume pour y déceler les menaces qui pesaient sur sa sécurité à l’état inconscient, et contrôler ainsi l’imaginaire de tout un peuple jusque dans son sommeil. L’entreprise qu’entreprend le narrateur du Musée des Rêves en est l’exact revers : il s’agit de recueillir et diffuser ces rêves perdus des habitants d’un pays qui semble étrangement endormi pour combattre la violence de l’état qui contrôle les consciences et les corps, par la force la plus brutale. Le récit se déroule en effet entre 1981 et 1983 en Argentine, en pleine dictature militaire. Dès la première page, cette peur permanente de « laisser échapper » une résistante encore inconsciente frappe le lecteur :

p. 11 : « A cet instant, une pensée m’a traversé l’esprit. Une idée qui semblait appartenir à un autre. Si quelqu’un pouvait lire, dans les plis de nos draps, les rêves de la nuit précédente, nous serions tous condamnés. J’ai arrangé l’oreiller, j’ai fait le lit comme si j’effaçais mes empreintes et je suis ressorti. »

Car c’est bien contre l’effacement, la disparition, tant morale que physique, que luttent les personnages engagés dans cette mystérieuse entreprise de « Musée des rêves » : les fous sont enfermés dans des asiles, des footballeurs sont enlevés en plein jour de l’hôpital où on vient de les opérer, des vieillards sont « suicidés » en pleine nuit sur un trottoir où nul ne leur viendra en aide, les rencontres sont surveillées et le narrateur battu à mort avant d’être laissé dans un terrain vague. Semblable au cancer qui ronge Helena, la femme qu’il aime, la maladie de l’oubli ronge toute une société enfouie dans une profonde apathie. La violence des « bas-fonds du rêve » issus de l’imaginaire des tangos, qui imprègne le recueil du même nom d’Onetti, trouve ici avec ses personnages emblématiques -le marginal, le serveur philosophe d’un bar désolé, la femme fatale et la putain, l’ami trahi et ses désirs de vengeance- une expression nouvelle, issue de la violence d’état face à laquelle le narrateur se débat. Il est d’abord engagé pour écrire ses rêves, chaque jour, à un certain Mendívez incapable de rêver et sommé par son psychanalyste de produire pourtant des songes, qu’il sous-traite donc à Rodolfo. Mais à mesure que les rêves de ce dernier produisent des monstres, Mendívez continue de lui payer des rêves qu’il ne lui prend plus, et son absence le pousse à s’interroger sur sa réelle entreprise, avec l’aide de ses amis, le Rital, qui a bien connu Mendívez, l’Indien, Delgado, et la rousse Helena. Les violences se multiplient à l’égard des personnages, et à mesure que la menace plane sur Rodolfo, son enquête avance et devient véritable quête suicidaire : contribuer à propager le souvenir des disparus, pour lutter contre l’effacement des consciences et des hommes.

Des personnes et des ombres

L’étrangeté du propos renforce cette impression de porosité entre la vie réelle et le rêve, qu’exploite la narration. On se réveille et l’on s’endort sans cesse dans ce roman qui joue sur l’incertitude d’abord de ce qui s’est réellement passé, pour sortir peu à peu son narrateur de cet état de torpeur et donner plus de puissance à la violence réelle qu’il affronte.

p. 29 : « Je vais raconter des rêves, lui ai-je dit. Les rêves d’un homme tout au long de sa vie, de sa naissance, ou même avant, jusqu’à sa mort. Je veux qu’on ait l’impression que cette personne a deux vies, tu me suis ? Celle qui commence chaque jour à son réveil et l’autre, celle qu’il rêve. Même si à la fin tu te rends compte qu’il n’y en a pas deux, mais une seule, parce qu’il est impossible de comprendre l’une sans l’autre. »

C’est bien de cette porosité du rêve et de la veille que se méfient les autorités, dans leur volonté totalitaire de contrôler l’imaginaire des rêveurs. En effet, l’un des personnages du Musée des Rêves explique qu’un seul rêve permet de connaître le rêveur tout entier, alors même que le rêve échappe au contrôle de sa conscience, mais par sa faculté de créer des rapports entre des éléments épars de sa vie, de son passé et de son présent, de faire émerger des obsessions et des images symboliques. En anéantissant les rêves, on ne se contente pas de museler l’imagination : on efface les rêveurs, tant la personne tout entière est prise dans les rets de ce qu’elle rêve. Pour les mêmes raisons, quand Rodolfo raconte à Mendívez son rêve d’Helena, il ressent une profonde culpabilité : « En plus, je venais de lui remettre le rêve du poisson, Helena incluse, et je commençais à me sentir mal. L’avoir livrée à Mendívez équivalait à la remettre entre les mains de je ne savais qui. Peut-être d’Echepare [le supposé psychanalyste]. Un éventreur de rêves. » (p. 91). Mais ce procédé du fantastique n’est pas ici l’occasion d’une simple rêverie littéraire sur l’insaisissable réalité de l’être : il plonge au contraire le lecteur dans un cauchemar bien réel :

p. 286 : « Dans la rue, c’était les entrailles de l’enfer. Les gens couraient en direction de l’avenue 9 de Julio ou dans la direction qu’ils pouvaient, poursuivis par des policiers munis de casques et de mitraillettes. Des véhicules de patrouille, des chars d’assaut et des policiers à cheval coupaient les coins de rue et grimpaient sur les trottoirs. Un canon à eau, conduit par un dingue, jetait un liquide bleu de toutes parts. Les personnages tachés par ce colorant couraient se réfugier dans les quelques magasins ouverts, mais les policiers allaient les chercher et les ressortaient par les cheveux. »

L’horreur pure de cette scène semble rendre l’entreprise de Rodolfo bien dérisoire. Pourtant, la révolte n’est possible que par l’onirisme qui imprègne les souvenirs des gens, et c’est l’amour pour les disparus, le refus d’effacer leur mémoire, qui justifie leur révolte physique. La rêverie, en particulier amoureuse, qui imprègne les pages du roman, apparaît comme l’unique moyen efficace de prévenir l’oubli des consciences et l’anesthésie générale : c’est par le dérisoire et l’invraisemblable, par la folie et les phrases, que la vérité, l’âpre vérité, selon l’expression du révolutionnaire Danton citée lors de la rencontre avec Helena, peut surgir et réclamer d’exister.

Faire des passes

Le roman explore la dimension collective du rêve, la manière dont les rêves des uns alimentent l’imagination des autres, à travers la métaphore de la transmission, qui se décompose en trois images majeures, comme les « ramifications » évoquées par Delgado, l’instigateur du Musée des Rêves :

p. 130 : « (…) je travaille dans la ramification. Tu sais ce que ça veut dire ? les rêves ne s’arrêtent pas à l’homme qui les a rêvés. Les rêves communiquent entre eux. Ils ne t’appartiennent pas, pas plus qu’à moi ou à l’Indien. Ils appartiennent à l’humanité, mais dans l’humanité, certains groupes ont plus d’affinités, sont plus reliés que d’autres. Tu comprends ? »

Ces ramifications s’expriment notamment à travers le thème du football, et en particulier le rêve de l’Indien, joueur au Chicago dont le rêve obsédant est celui de son incapacité à renvoyer le ballon dans les cages alors que toutes les tribunes l’observent. Remâchant son échec, profondément blessé et devenu marchand de cacahuètes dans les gradins, l’Uruguayen explique que dans ce rêve dont la réalité s’est avérée si terrible, c’était les passes qui lui étaient faites n’importe comment, qui venaient de n’importe quel coin du terrain, qui l’avaient mené à cette paralysie fatale. Comprenant tardivement que la transmission seule importait et non la prouesse individuelle, l’Indien se résigne alors à vouloir oublier ce rêve qui le constituait, alors même que c’est, comme on le sait, la Boca qui triomphe et à travers elle une certaine vision nationaliste de l’Argentine qui broie les destins individuels au profit d’un rêve éveillé de puissance nationale, bien commode pour les militaires en place. Honte aux perdants, comme de toute éternité.

Les relations entre les personnages, le désir et la trahison, le plaisir et la loyauté, la culpabilité innervent chacune de ces relations complexes entre les personnages : comme les footballeurs de l’équipe se « font des passes » parfois mortelles, Clara Funes[1], prostituée qui semble sortir d’un récit de Borges, transmet sur son corps le plan d’une ville rêvée pour que ses amants de passage trouvent leur lieu. La passe est lieu de passage et de transmission d’un secret, qui lie loyauté et trahison dans une même urgence : déchiffrer le monde, les relations entre les êtres et les consciences. Le rêve d’Analía supplée sa disparition, et contamine les rêves de tous ceux que parvient à « faire travailler », au sens psychanalytique et métaphorique du terme, puisqu’il les « paie » pour ce travail en inversant le rapport entre patient et psychanalyste, Mendívez : dans tous les rêves apparaît la figure de la jeune fille, ou la certitude de sa présence, accusant d’autant plus fermement ceux qui l’ont laissée mourir. L’amour et l’argent entretiennent ici des liens terribles, autour de la transmission qui s’effectue à travers les transactions, ou pour mieux dire, le transfert que met en œuvre le récit.

Les dialogues sont omniprésents dans ce récit, et c’est à travers eux, ce que disent ou ce que cachent les autres protagonistes, que Rodolfo parvient peu à peu à entrevoir la vérité. Ainsi, on devine à travers les blancs de la conversation et ses silences, des vérités que le discours tentait de cacher, comme si l’inconscient se révélait malgré lui à travers cette transmission involontaire : le Rital devine que son ami a couché avec sa femme le jour où ils ont évoqué Analía, la femme qu’aimait Mendívez, car « pourquoi sinon auriez-vous parlé de culpabilité ? ». Ce qui se dit, comme les rêves qui s’agitent, a besoin d’un lecteur, et c’est cette troisième fonction qui est le plus intelligemment exploitée dans le roman.

Les passeurs sont en dernier recours ces livres, que vole et qu’annote Helena avant de les remettre en circulation. Sa méthode de lecture procède par fragments, comme les rêves sont des fragments de conscience auxquels un « lecteur de rêves » donne sens par son déchiffrement. Elle collecte des phrases, les colle à d’autres, traçant un infra-texte, ou subconscient de livre, qui lui donne un tout autre sens que celui produit par un premier niveau de lecture. Les rêves recueillis seront alors disséminés dans des livres qu’Héléna et Rodolfo doivent « relâcher » le 30 mars 82, créant malgré le relatif échec de leur entreprise une telle panique que les autorités décideront de supprimer purement et simplement cette date du calendrier.

p. 234 : « On va placer plus de mille rêves dans les tribunaux. Tu sais ce que ça veut dire ? Les juges vont devenir fous quand ils trouveront, au milieu des articles du code pénal, les rêves de ceux qu’ils ont refusé de voir. (…) Les rêves de ceux qui cherchent leurs enfants, leurs frères, leurs amis. Il faut qu’on les atteigne d’une manière ou d’une autre, et on va les atteindre par là où ils s’y attendent le moins. Mais ce n’est pas tout, le plus dur pour eux, ça va être de se retrouver face à des fragments de leurs propres rêves, comme si c’étaient des preuves de vie, pour qu’ils sachent qu’on a séquestré leur âme, mais aussi celle de leurs enfants, de leurs mères, de leurs maîtresses. »

La mémoire est au cœur de ce récit de la transmission, écrit plus de trente ans après la dictature militaire. Et Semán démontre combien le livre tient ce rôle essentiel, de conscience d’un peuple et des individus qui le composent. Combien le livre joue ce rôle de passeur entre l’imagination individuelle et collective, entre le passé et le présent toujours en cours d’élaboration. A travers cette fable sur le rêve et sa dimension universelle, il donne à lire une certaine vision de l’homme et de son échec à réaliser le rêve, comme celui de l’Indien, ou du père d’Héléna qui voulait délivrer l’humanité de la pesanteur et ne voulut plus jamais sortir de l’asile après son échec : une forme d’humanité, de dignité, qui l’érige au-dessus de sa triste condition, et qui lui est inaliénable justement parce que c’est son échec qui lui donne autant de pouvoir sur le monde, pour s’y être heurté au lieu de s’y conformer avec apathie en dormant.

p. 339 : « Je mens autant que je peux mais, cette fois, je dis la vérité. Ces rêves étaient notre dernier refuge. Des photos prises à contre-jour, qui enserraient le contour de ce que nous n’avons pas pu être. Comme les phrases trouvées dans les livres d’Helena. »

 

Illustration: Victor Brauner, Le Ver Luisant


[1] « Funes » évoque à la fois le latin « funus », et annonce la mort de celui qui la lirait sur son corps entièrement tatoué, comme celui d’une pythie ; mais il rappelle surtout le Funès hypermnésique des Fictions de Borges.

 

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Bonjour je me prénomme nadia mère de 3 enfants. Je vivais à briouze avec mon mari, quand en 2018 il décida d'aller en voyage d'affaire à Bresil , où il tomba sur le charme d'une jeune vénézuélienne et ne semblait même plus rentrer. Ces appels devenaient rares et il décrochait quelquefois seulement et après du tout plus quand je l'appelais. En février 2019, il décrocha une fois et m'interdit même de le déranger. Toutes les tentatives pour l'amener à la raison sont soldée par l'insuccès. Nos deux parents les proches amis ont essayés en vain. Par un calme après midi du 17 février 2019, alors que je parcourais les annonce d'un site d'ésotérisme, je tombais sur l'annonce d'un grand marabout du nom ZOKLI que j'essayai toute désespérée et avec peu de foi car j'avais eu a contacter 3 marabouts ici en France sans résultât. Le grand maître ZOKLI promettait un retour au ménage en au plus 7 jours . Au premier il me demande d’espérer un appel avant 72 heures de mon homme, ce qui se réalisait 48 heures après. Je l'informais du résultat et il poursuivait ses rituels.Grande fut ma surprise quand mon mari m’appela de nouveau 4 jours après pour m'annoncer son retour dans 03 jours. Je ne croyais vraiment pas, mais étonnée j'étais de le voire à l'aéroport à l'heure et au jour dits. Depuis son arrivée tout était revenu dans l'ordre. c'est après l'arrivé de mon homme que je décidai de le récompenser pour le service rendu car a vrai dire j'ai pas du tout confiance en ces retour mais cet homme m'a montré le contraire.il intervient dans les domaines suivants Retour de l'être aimé Retour d'affection en 7jours réussir vos affaires , agrandir votre entreprises et trouver de bon marché et partenaires Devenir star Gagner aux jeux de hasard Avoir la promotion au travail Envoûtements Affaire, crise conjugale Dés-envoûtement Protection contre les esprits maléfices Protection contre les mauvais sorts Chance au boulot évolution de poste au boulot Chance en amour La puissance sexuelle. agrandir son pénis Abandon de la cigarette et de l'alcool voici son adresse mail : maitrezokli@hotmail.com vous pouvez l'appeler directement ou l 'Ecrire sur whatsapp au 00229 61 79 46 97
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